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03/09/2006




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Un Espace Chrétien sur le site de l'AAAND'A

Cette page a pour but de vous donner accès au monde chrétien de la vallée d'Aulps, à son Espace cistercien, à l'Espace cistercien européen, bref à tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la relation entre l'Homme, Dieu et Aulps de 1093 AD à nos jours.


Les grands ordres bénédictins

Ce chapitre est consacré au développement des ordres bénédictins, de Cluny aux Cisterciens. Il apporte les éléments fondamentaux pour bien comprendre quel fut la source et l'impact de la religion durant cette fin de premier millénaire et celui qui suivit.

La place de l'Eglise dans le monde féodal

La situation économique des Xe, XIe et XIIe siècles, qui fait de la terre et des produits de l'agriculture la principale source de richesses, alors que le commerce est peu développé et la monnaie très rare, oblige les ecclésiastiques à avoir des domaines pour vivre. En outre, si l'Eglise veut exercer son influence sur les seigneurs et sur les paysans, elle doit installer ses établissements au milieu d'eux, donc à la campagne. Il lui faut, enfin, offrir à ceux qui désirent pratiquer plus profondément le christianisme, et qui sont animés d'un grand idéal religieux, un cadre qui corresponde exactement à leur genre de vie dans le monde laïque, et, comme principale activité, le travail aux champs.

Cette adaptation de l'Eglise se fait toute seule, sans que ses chefs aient besoin d'y réfléchir. La foi intense de l'époque conduit les seigneurs à donner de vastes domaines au clergé, et très tôt chaque évêché possède de grandes exploitations. Mais ce sont surtout les abbayes bénédictines qui sont comblées, la règle de saint Benoît s'appliquant particulièrement à l’existence rurale, et mettant en honneur le labeur manuel autant que les études. D'innombrables chrétiens, seigneurs ou paysans, se font donc moines, et les monastères deviennent les centres agricoles les plus actifs de l'époque.

Chacun d'eux est organisé comme une seigneurie dont le monastère tient lieu de château et emploie des laïques, libres et serfs. Comme un seigneur laïque, l'abbé, chef de l'abbaye, rend la justice et fait payer diverses taxes. Souvent, il a des vassaux, car il concède certains domaines en fiefs. L'abbaye elle-même est d'ailleurs parfois, pour certaines de ses terres, vassale d'un laïque. Enfin, pour le représenter auprès des pouvoirs laïques et remplir certaines obligations féodales (comme le service d'ost), l'abbé désigne une personne n'appartenant pas au clergé, qui prend le titre d'avoué (ou de vidame, s'il s'agit de la représentation d'un évêque).

Cluny

Depuis le VIe siècle, de nombreuses abbayes bénédictines ont été créées dans toute l'Europe. Mais c'est seulement à partir du Xe siècle que le monachisme bénédictin connaît un essor extraordinaire, avant tout grâce à l'abbaye de Cluny.

Celle-ci, fondée en 910 dans le Mâconnais, est le plus vaste monastère qui ait jamais existé, ainsi qu'en font foi les dimensions de son église. Par ailleurs, elle acquit très tôt une grande renommée en observant scrupuleusement la règle de saint Benoît. Elle devint ainsi le refuge parfait de tous ceux qu'animait l’idéal monastique. Aussi, sous la direction d'abbés remarquables, dont les plus célèbres furent, au XIe siècle, Odilon et Hugues, elle fonda un grand nombre d'autres monastères - abbayes ou prieurés - auxquels elle donna son organisation ; elle imposa à d'autres établissements, qui existaient déjà, le respect de sa règle.

Pour mener à bien cette double tâche, Cluny exigea de tous ces monastères une certaine obéissance. Ainsi, l'ensemble de ces établissements ecclésiastiques formait ce qu'on appelle l'ordre de Cluny, à la tête duquel était placé l'abbé de l'abbaye de Cluny, celle-ci étant l'abbaye-mère.

Dans chaque monastère, les moines, vêtus de noir, partagent leurs journées entre le travail manuel (pour l'agriculture), le travail intellectuel et la prière. Vivant selon la règle de saint Benoît, ils font les vœux de chasteté, pauvreté personnelle (ils ne possèdent rien en propre) et obéissance. Dans les monastères les plus importants, appelés abbayes, ils désignent eux-mêmes leur chef, l'abbé. Ailleurs, l'abbé de Cluny nomme ce chef, qui porte le titre de prieur, et l'établissement le nom de prieuré.

A la fin du XIe siècle, l'ordre de Cluny était l'institution /a plus puissante de l'Eglise catholique. Il groupait plusieurs centaines de maisons en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Allemagne et jusqu'en Pologne. Grâce à l'étendue des domaines de chacune d'elles, il était immensément riche. Mais cette opulence, qui s'accompagnait souvent d'un appauvrissement de la vie spirituelle, valait à Cluny de sévères critiques.

Saint Bernard et l'ordre de Cîteaux

Dès la fin du XIe siècle, en effet, un certain relâchement se produisait à Cluny, alors que les meilleurs chrétiens désiraient mener une vie encore plus austère. Ce phénomène provoque la création de plusieurs ordres religieux. L'un des plus connus est celui des Chartreux, institué par Saint Bruno, qui, en 1084, fonda le monastère de la Grande-Chartreuse, près de Grenoble. En 1098, des moines appartenant à l'abbaye, sous la conduite de l'un d'eux, Robert, quittèrent leur établissement, où le désordre se développait, et s'établirent dans une forêt marécageuse, près de Dijon, à Cîteaux.

Cette nouvelle abbaye eut au début peu de succès. A partir de 1112, au contraire, elle devint très célèbre. Cette année-là, en effet, un jeune noble de la région entrait au monastère, le futur saint Bernard. Amenant avec lui une trentaine de compagnons, attirant par son exemple de nombreux jeunes seigneurs, déployant sans cesse une activité inlassable, il permet très vite à Cîteaux d'"essaimer", c'est-à-dire de fonder de nouveaux monastères. Le plus célèbre fut celui de Clairvaux, fondé près de Troyes en 1115, par saint Bernard lui-même. Par ailleurs, saint Bernard joue un grand rôle dans les principaux événements du XIIe siècle, aussi bien dans les disputes entre théologiens où il est l'adversaire du célèbre Abélard, que dans la préparation de la seconde croisade.

Voici comment l'historien Michelet dépeint cet homme extraordinaire :

"C'était un esprit plutôt qu'un homme qu'on croyait voir quand il paraissait ainsi devant la foule, avec sa barbe rousse et blanche, ses blonds et blancs cheveux ; maigre et faible, à peine un peu de vie aux joues. Ses prédications étaient terribles ; les mères en éloignaient leurs fils, les femmes leurs maris ; ils l'auraient tous suivi aux monastères. Pour lui, quand il avait jeté le souffle de vie sur cette multitude, il retournait vite à Clairvaux et calmait un peu dans l'explication du Cantique des Cantiques, qui l'occupa toute sa vie, son âme malade d'amour." (Michelet, Histoire de France.)

A sa mort (1153), l'ordre de Cîteaux jouissait de la réputation et de l'influence qu'avait eues Cluny au XIe siècle. Comme Cluny, il groupait de très nombreuses maisons. Mais son organisation était plus souple : ce n'était plus, comme à Cluny, le tout-puissant abbé de l'abbaye-mère qui dirigeait l'ordre, mais le chapitre général, c'est-à-dire l'assemblée annuelle de tous les abbés des différentes maisons. De cette façon, une plus grande indépendance était laissée à chaque monastère.

Par ailleurs, Saint Bernard et les Cisterciens tinrent à pratiquer la règle de Saint Benoît dans toute sa rigueur, et ils mirent l'accent sur le travail manuel, parfois aux dépens du travail intellectuel. Ils employaient moins de laïques pour l'exploitation agricole. Les moines étaient répartis en deux catégories : les pères, habillés de blanc, qui étaient prêtres ; les convers, vêtus de brun, plus spécialement attachés au labeur des champs. Grâce à eux Cîteaux put mener à bien des entreprises considérables, défricher des forêts, assécher des marais et gagner à la culture et à l'élevage des terres nouvelles.

Ainsi, Cluny et Cîteaux jouèrent, jusqu'à la fin du XIIe siècle, un rôle primordial au sein de la société féodale.

Marcel PACAUT, Historien


L'action de l'Eglise sur les mœurs féodales

Action religieuse

En s'établissant à la campagne, les moines bénédictins développent la vie religieuse ; ils secondent les évêques désireux de rétablir la discipline dans le clergé ordinaire. Ils s'occupent parfois du culte pour les fidèles, dans les paroisses qui sont, toutefois, le plus souvent desservies par un curé séculier. Celui-ci, n'ayant ni le temps ni les moyens de cultiver la terre, vit des dons que lui font ses paroissiens. L'un de ces dons est obligatoire : chaque chrétien doit lui apporter le dixième de ses récoltes et des produits de sa basse-cour. C'est ce qu'on appelle la dîme.

Par ailleurs, pour répondre aux désirs des gens pieux, le clergé favorisa l'organisation de pèlerinages aux lieux les plus célèbres de la Chrétienté : Rome, Le Puy, Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne. Le long des routes qui y conduisaient, les grands monastères jalonnaient les étapes ; là les pèlerins pouvaient se ravitailler et prendre du repos.

Adoucissement des moeurs

L'Eglise cherche avant tout à rendre moins rudes les mœurs de la société féodale. Pour limiter les dommages provoqués par les guerres, elle défend de se battre certains jours (généralement du jeudi au lundi) : c'est la trêve de Dieu. La paix de Dieu interdit de s'en prendre aux femmes, aux enfants et aux clercs. Enfin, le droit d'asile met à l'abri des poursuites les gens réfugiés dans les monastères et les églises. Par ailleurs, les plus importants établissements ecclésiastiques demeurent les seuls centres scolaires de l'époque.

En outre, l'Eglise essaye d'intervenir dans toutes les cérémonies de la vie féodale. Elle fait de l'adoubement un acte religieux. Elle réagit contre la littérature courtoise qui accorde, selon elle, une trop grande place à la femme et aux joies humaines, en proposant aux seigneurs l'idéal du chevalier parfait qui combat non plus pour sa dame, mais pour le droit et la religion.

Marcel PACAUT, Historien

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La Règle de Saint Benoît, un outil pour le management

Ce texte du VIème siècle, qui édicte les modes de fonctionnement d'êtres humains devant assurer leur vie matérielle et leur développement spirituel, tout en tenant compte des bouleversements de l'époque, distille des concepts étonnamment modernes.

Existe-t-il des règles pérennes en matière de management des hommes et des équipes ? Un texte du VIème siècle, la règle de Saint Benoît, est une référence possible. Ecrit entre 537 et 547, il a pour fonction d'organiser la vie des moines vivant en communauté (cénobites) et s'intéresse aussi bien à l'activité qu'aux individus. La situation du monde occidental à cette époque est particulièrement complexe et trouble, marquée par des changements de fond liés, notamment, à la première vague d'invasions barbares qui pulvérise l'univers méditerranéen.

Les valeurs du vieil Empire romain sont chancelantes, les métissages se multiplient, les cultures subissent des chocs qu'on peut qualifier de tectoniques, provoquant un chaos social, intellectuel et moral. Ces changements ne se succèdent pas aussi rapidement que ceux que nous vivons aujourd'hui, mais on peut cependant hasarder l'hypothèse que le monde d'alors vit une répétition générale lointaine de notre actuelle mondialisation. C'est sans doute pour cet ensemble de raisons que la règle de Saint Benoît, qui édicte les modes de fonctionnement d'êtres humains devant assurer à la fois leur vie matérielle et leur développement spirituel, tout en tenant compte des bouleversements de l'époque, distille des concepts étonnamment modernes et leur confère valeur de repères au-delà du temps.

La règle comporte soixante-treize chapitres. Certains sont évidemment périmés ou sans lien avec l'entreprise, mais beaucoup représentent de subtils traités de management, riches de vérités simples, concrètes, adaptées à notre époque bousculée.

C'est que l'auteur, avant de l'écrire, "a travaillé" sur lui-même, choisissant son objectif (en l'occurrence, accéder à la sainteté) et acceptant les contraintes nées de son choix. Après trois ans de solitude et quelques péripéties didactiques, Benoît fonde en 529 un monastère. Il y rédige la règle qui devient celle de la majorité des moines et moniales d'Occident, sous laquelle vivent encore quelques milliers d'hommes et de femmes.

Un monastère est en soi une petite entreprise qui assure sa production, et parfois la commercialisation de celle-ci. Le travail quotidien y est clairement réparti : chacun sait ce qu'il doit faire. Une première leçon de choses se tient là : la répartition des tâches individuelles est claire, tandis que celles d'intérêt général sont réalisées à tour de rôle. Les "équipes" du monastère se limitent à dix personnes (décadies). Benoît a sans doute appris qu'il est difficile, voire déraisonnable, de "manager" plus de dix individus à la fois. Lorsque le quota est atteint, on essaime.

Un nouvel abbé s'en va avec quelques moines vivre ailleurs, sous la même règle. Mais celle-ci est suffisamment sage et souple pour laisser au nouveau "manager" une très large autonomie, dans le cadre accepté. Il ne rendra de comptes à la maison mère que sur l'essentiel : 1'accomplissement de la mission.

Mais la clé de voûte de la règle reste le rôle de l'abbé (du syriaque abba : père) comparable sous beaucoup d'aspects à celui de "manager". Benoît, qui sait de quoi il parle, n'aborde l'autorité qu'en termes de responsabilité. "Une fois nommé, l'abbé considérera toujours quelle charge il a reçue. (...) Il saura qu'il doit servir et non asservir (ch.64,v7)." S'il attribue à l'abbé une fonction majeure, il lui enjoint d'être sans cesse conscient de son rôle : remplir sa mission et accompagner ceux qu'il dirige dans l'accomplissement de la leur. Le management est bien un métier, il y faut une préparation, insuffisante aujourd'hui.

L'abbé est élu par l'ensemble de la communauté, sur des critères qui donnent à réfléchir : "II ne sera pas agité et anxieux, ni jaloux ni soupçonneux, car il se serait jamais en repos... (ch64, v.16, 17)." Un"manager" a besoin de disposer de temps de recul réels, lieux d'expression éventuelle de son angoisse, de ses incertitudes. Une fois en fonction, "il doit (...) savoir qu'on exige davantage de celui à qui on confie davantage. Qu'il sache aussi combien est difficile et ardue la tâche qu'il assume (...) et de se plier aux caractères multiples. Il se conformera et s'adaptera à tous selon les dispositions et l'intelligence de chacun (ch.2, v.30 et suivants)". Cette dernière phrase souligne la donne incontournable d'un management efficient : prendre chacun là où il est et l'accompagner plus loin.

En retour, le "managé" doit "donner et demander aux heures convenables ce qui doit être donné et demandé (ch.31, v 18)". S'il ne fait pas ce qu'il doit, "il sera admonesté une première et deuxième fois par ses anciens. S'il ne s'amende pas, qu'il soit réprimandé publiquement devant tous (ch.23, v.2) ". Et si, malgré tout, il s'obstine, "alors l'abbé usera du fer pour amputer (ch.28, v.6 et 7)". Nuls sévices corporels ici : ces mots signifient en réalité que le moine sera exclu de la communauté.

Il s'agit également d'éviter toute humiliation vaine. Ne sont "licenciés" que ceux que ceux qui l'ont vraiment cherché, mais pour eux finies les tergiversations. Pour autant, "l'abbé ne mettra pas le trouble(...)en prenant des dispositions injustes comme s'il jouissait d'un pouvoir arbitraire... (ch.63, v.2)".

Concernant la prise de décision, la position de Benoît mérite également réflexion. Elle verse ce qui se pratique généralement "Chaque fois que des affaires importantes devront être traitées au monastère, l'abbé convoquera toute la communauté et dira lui-même de quoi il s'agit. Après avoir entendu l'avis des frères, il réfléchira et fera ce qu'il juge le plus utile (ch3, v.1, 2)." Chaque terme de cette phrase qui ne ferait sûrement pas l'unanimité dans tous les conseils d'administration vaut qu'on le médite. Et, pour que l'esprit du verset ne soit pas détourné, Benoît ajoute : "Dans les affaires de moindre importance, il prendra seulement le conseil des anciens" (ch.3, v.12)".

Prendre systématiquement le temps d'une réflexion personnelle sur le management avant de devenir manager, permettre ainsi une compréhension réfléchie des mécanismes liés à ce rôle, changerait probablement à terme le profit de nos entreprises. Entreprendre lecture commune et réflexion sur la règle de Saint Benoît avec des managers est d'ores et déjà un exercice fructueux. Il y a quinze cents ans, ces mots ont été pensés, écrits, puis ont traversé le temps.

Ils résonnent encore avec justesse.

Brigitte de Saint Martin, Directrice Générale du cabinet EPHATA Consultants.

Expert de l'Association pour le Progrès du Management (APM).

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